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La révolution numérique peut-elle détruire nos emplois ? ( LA PROVENCE, LE 02/03/2017)

Le Conseil d'orientation pour l'emploi, que préside Marie-Claire Carrère-Gée, estime que moins de 10 % sont en situation de vulnérabilité et donc menacés de disparition. Il va cependant falloir s'adapter. Notamment à Marseille. 

 

 

À la tête du Conseil d'orientation pour l'emploi (COE) qui a rendu en ce début d'année un rapport consacré aux "impacts sur le volume, la structure et la localisation de l'emploi" (voir ci-dessous), elle s'est fait l'écho d'un travail de fond "débuté bien avant que ne soient publiés des chiffres alarmants faisant état de la disparition de 47 % des emplois sous quinze ans".

 

Leur origine ? "Une étude américaine qui prenait en compte les tâches routinières manuelles ou cognitives jugées particulièrement exposées à l'automatisation. Elle a considéré que lorsqu'une entreprise comportait 70 % de fonctions automatisables, le métier disparaissait. De notre point de vue, c'est une erreur méthodologique parce que le progrès ne s'attache pas à un métier en tant que tel ; ensuite parce qu'un métier n'est jamais exercé de la même manière par chacun. Les supermarchés ont des caisses automatiques, mais il demeure des caissières", répond Marie-Claire Carrère-Gée.

 

Reste le constat. "Les évolutions actuelles font apparaître des craintes et il y a des incertitudes. Mais cela n'est pas une nouveauté, cela ne date pas d'hier, car chaque vague d'innovation a toujours suscité un débat. Il y a toujours eu les optimistes et les pessimistes. Il fallait donc regarder. Surtout que sur les 25 dernières années, un impact sur l'emploi, plutôt positif, a été constaté même s'il y a eu des délocalisations. Cela dit, nous vivons des défis technologiques de grande ampleur et les évolutions sont rapides. Tout cela a un large impact sur les fonctions des entreprises et sur l'économie, partout dans le monde. Nous avons donc voulu étudier le sujet de manière plus globale. Quand les autres études mettent plutôt l'accent sur la destruction des emplois, nous, nous avons également voulu regarder la création des emplois et leur localisation", poursuit la présidente du COE.

 

Robotisation (ici le robot humanoïde Ocean One dédié à l'archéologie sous-marine), intelligence artificielle, numérisation : une révolution technologique est en cours. Ci contre, Marie-Claire Carrère-Gée.
 
"Pour ce faire, nous sommes partis d'une enquête très descriptive de la Dares sur les conditions de travail. Nous en avons retiré des critères afin de voir ce qui pouvait être automatisable ou pas. Le degré d'adaptation a été abordé et les critères de perception et de préhension des robots ont aussi été pris en compte. C'est comme cela qu'on en est arrivé à estimer que le progrès n'est pas la foudre qui traverse brutalement l'atmosphère. Même si dans le cas présent, ce qui interpelle, c'est la puissance et la rapidité. Nous estimons à moins de 10 % les métiers les plus vulnérables. En revanche, et c'est à notre sens bien plus capital, 50 % des métiers, des emplois actuels, vont être bouleversés dans les années qui viennent. Cela veut dire qu'il faut reconfigurer, s'adapter et surtout, qu'il est nécessaire d'anticiper les évolutions. Le progrès cible les métiers les moins qualifiés encore une fois les plus vulnérables. Mais non, ce n'est pas la fin du travail."

 

L'aire métropolitaine marseillaise, très tournée vers les nouvelles technologies et fière de sa labellisation "french tech" est-elle plus, ou moins vulnérable ? "Il y a ici des atouts. Mais il y a aussi un manque de qualifications. Ce qui frappe, c'est la faiblessedes cadres et cadres supérieurs. Il y a moins de fonctions métropolitaines qu'en Île-de-France ou en Rhône-Alpes. Mais ce constat est moins robuste que l'étude globale. Disons qu'ici, la vulnérabilité serait légèrement supérieure à ce qu'elle est au niveau national", répond Marie-Claire Carrère-Gée. Comment mieux anticiper les évolutions et s'y adapter ? "En formant et beaucoup. Il faut donner des compétences en lien avec les outils technologiques", répond la présidente du COE. Avant d'ajouter durant le débat, qu'il faut aussi prendre en compte de nouveaux modes de management "car la numérisation rend plus autonome et plus flexible". À son sens, "apprendre à apprendre" reste la meilleure des garanties. L'analyse du rapport : la moitié des emplois actuels sont susceptibles d'évoluer

Automatisation, numérisation et emploi. En 190 pages, le premier tome du rapport d'études, rendu en début d'année par le Conseil d'orientation pour l'emploi, dresse un état des lieux sur le volume, la structure et la localisation de l'emploi. Didactique et pédagogique, le travail réalisé est tout d'abord le constat d'une accélération du rythme des innovations et d'une nouvelle vague d'automatisation et de numérisation qui transforme les systèmes productifs de l'économie. Celle des différents pays dont la France, ainsi que de ses 13 grandes Régions, dont Provence Alpes Côte d'Azur. Montée en puissance de la robotique et de l'intelligence artificielle, essor de l'internet des objets et de leur capacité à agir en réseau parce que connectés ; l'inexorable montée en puissance du traitement des données de masse qu'est le big data, ainsi que l'émergence des imprimantes capables de reproduire en trois dimensions, ou encore la révolution annoncée des voitures ou des avions sans chauffeur ou pilote : tout cela, comme bien d'autres choses, nourrit la crainte d'un futur sans travail.

 

Faut-il réellement s'attendre à des lendemains qui déchantent ? Si d'autres études ont fait état d'une véritable menace et si des chiffres ont circulé, faisant état d'une extinction massive d'emplois actuels, le rapport se veut plus prudent. S'attachant dans un premier temps à décrypter ce dont on parle. On y apprend par exemple que l'automatisation s'est longtemps confondue avec la mécanisation et la fabrication de produits industriels. On y apprend aussi que l'intégration de l'informatique et l'essor de la microélectronique à compter des années 70, ont donné naissance aux machines à commandes numériques et au pilotage à partir d'un ordinateur. La convergence des technologies a aussi permis d'élargir le spectre des tâches, gagnant l'univers des services. Ainsi est née la productique. Mais ce n'était là qu'une étape. Car c'est le déploiement de l'internet à partir des années 80, qui est à l'origine de la numérisation de l'économie. Une tendance très vite accentuée par l'apparition de nouveaux outils que sont les smartphones et les tablettes. L'envol du big data et la capacité des machines à échanger entre-elles, ont ensuite donné corps à ce qu'on nomme déjà la 4e révolution industrielle. Une étape de plus dans la quête humaine du progrès. Mais aussi une nouvelle vague de craintes.

 

Le rapport relève que chaque saut a eu ses lots d'optimistes et de pessimistes et d'interrogations. Mais il incline à penser qu'à chaque fois dans le temps, le positif l'a emporté. Reste que cette fois, la rapidité du rythme est inédite et les avancées technologiques assurément interdépendantes. C'est ainsi que rien que pour la France, sur 47 technologies jugées stratégiques dont 19 majeures pour la compétitivité du pays sous dix ans, 14 relèvent du numérique et sont en mesure d'influencer plusieurs secteurs, qui plus est dans le temps. Le résultat, quant à l'appréciation des conséquences sur l'emploi, est que les outils traditionnels s'avèrent inadaptés et qu'il convient donc de défricher. Qui plus est, et c'est une des raisons de ce questionnement, un ralentissement de la productivité mondiale est constaté.

 

Le verdict ? Dans sa conclusion, le rapport estime que moins de 10 % des emplois existants présentent un cumul de vulnérabilités à même de menacer leur existence. Mais surtout, il estime que 50 % des emplois actuels sont susceptibles d'évoluer, dans leur contenu, de façon significative à très importante.L'avenir passe par le numériqu 

Les partenaires membres du Club de l'économie de "La Provence", réunis hier matin autour de Marie-Claire Carrère-Gée, la présidente du Conseil pour l'orientation de l'emploi.
 

Et si on taxait les robots pour mieux financer des formations. Est-ce une bonne idée ? La question, posée par Julien Ravier de Kedge business school, rappelle un débat. "Mais c'est en dehors de notre rapport", répond la présidente du COE. "À titre personnel, je vous dirai que les entreprises françaises sont en retard par rapport à celles d'autres pays en matière d'automatisation. Dans un monde global, il faut suivre le mouvement et rattraper. Le problème est que, pour l'entreprise, le robot est fait pour gagner en compétitivité et maximiser des emplois. On peut penser que renchérir le coût de la machine n'est pas la meilleure solution. Mais on peut aussi s'interroger sur la fiscalité du capital et la correction des mécanismes inégalitaires."

 

Patrice Boudechiche (La Poste) avoue "qu'il y a des difficultés à anticiper" et explique "qu'il faut maintenir l'humain et la proximité au coeur des dispositifs, malgré la digitalisation". Puis d'assener : "Le robot déshumanise." Marie-Claire Carrège-Gée acquiesce. "De l'humain, il en faut, c'est vrai. On ne peut sans cesse se comporter comme une start-up. Il faut savoir raison garder."

 

Jean-Louis Moulin (Aix Marseille Université) estime "que la révolution numérique telle que décrite, l'est par la génération de ceux qui éduquent. Mais nos étudiants ne voient pas forcément les choses de la même manière. Leurs problèmes sont différents et ils vivent déjà avec le numérique. En revanche, ils ont des questions vis-à-vis de l'avenir, sur cette société de bien-être dont on parle, et se demandent quels seront les métiers. Mais que leur dire ?", s'interroge le chargé de mission à la taxe d'apprentissage. "Formez et beaucoup. Le besoin futur, c'est une population active qualifiée. Les étudiants doivent apprendre à s'adapter, il faut une stratégie d'apprentissage. Il faut être capable de s'auto-évaluer, d'apprendre à apprendre."

 

Fabrice Marion (Afpa) approuve. "Il faut former aux évolutions, c'est indispensable. Nos outils évoluent d'ailleurs en ce sens en se numérisant eux aussi. Regardez le 'Mooc cuisine' qui cartonne en France. Nous avons aussi lancé un Mooc qui propose de mieux apprendre la langue française pour ceux qui la parlent mal et de se familiariser par la même occasion avec les valeurs républicaines."

 

Thierry Lemerle, le directeur régional de Pôle emploi, confirme "que le service public développe le numérique et que les formations qui sont proposées vont aussi pouvoir être notées". Pour ce qui concerne les entreprises et notamment celles du numérique, les besoins sont importants et il est parfois difficile de répondre aux demandes. Ce que confirme Fabien Finucci (Orange). Ce d'autant que la tendance au free lance est grandissante. "Il est vrai que les évolutions actuelles incitent au travail indépendant en contribuant à l'autonomie et à la flexibilité. Mais cette tendance reste cependant plus modeste qu'on le pense", commente Marie-Claire Carrère-Gée.

 

Fabrice Alimi (CCIMP), évoquant une génération Y "avec qui il y a des problèmes d'échange dans les entreprises", parle "de la nécessité de réformer les modes de management. Il faut repenser l'évolution de l'entreprise, mieux combiner les compétences classiques et celles numériques". Jean-Pierre Gasnier (Arkhéos) complète : "Le numérique c'est bien, mais cela suppose aussi de la part de dirigeants un abandon de prérogatives. Et c'est un frein. Tout comme l'est la multiplication des accès pour des questions de sécurité." "J'entends tout cela. Mais je pense qu'il faut aussi un code du travail adapté", ajoute Laurent Cohen (CCIMP).

 

La révolution numérique ferait-elle des exclus du marché du travail parmi les jeunes, comme le pense Pascale Lardeau (Charles-Péguy) en proposant "la mise en place de classes de formation" ? Le propos ne convainc pas Fabrice Alimi qui réplique : "Les jeunes ne sont pas démunis de smartphones. C'est le début..." Bref, l'avenir passe par le numérique, il faut faire avec et s'adapter. "On parle des emplois vulnérables, mais vulnérables ne veut pas dire détruits. La Chambre de commerce travaille sur ce pointde la mutation pour former et favoriser l'entrée dans un nouveau monde du travail."

 

La mutation, les experts comptables y sont eux aussi confrontés. "Elle est en route pour 80 % des TPE et nous préférons parler de transition numérique. La facture électronique est une réalité et la dématérialisation des bulletins de salaires va le devenir", rapporte Jean-Claude Heid.

 

La révolution numérique et le lien avec l'humain, l'hôpital y est aussi confronté. "Organiser le parcours autour du patient, ne pas recréer l'hôpital à la maison mais ouvrir l'hôpital à la maison, ces (r)évolutions réclament une réorganisation en profondeur et de nouveaux métiers pour coordonner les parcours hors de l'hôpital. L'IPC a été primé 2016 pour son programme de télé-suivi à domicile par des infirmiers des patients âgés. Une appli patients est aussi lancée ce mois-ci pour permettre le suivi à distance", fait savoir Philippe Michard, le secrétaire général de l'Institut.

 

Jean-Luc Crozel

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